La part de rêve ignorée

 

Comment est-ce arrivé sinon par une volonté de faire que ça arrive ? Alors que les fondements de mon état civilisé disparaissaient dans un tremblement de terre psychique, mon affection escamotée dans une illusion duelle prenait le dessus sur la qualité de ma santé. Croire que j’ai toujours été dans le faux menace l’imagination qu’on peut rendre onirique du monde et croire que j’ai fauté est sans doute un défaut moralisateur qui valide des opinions propre à détruire ma patience chaste devant l’hérésie de ce monde occidental qui n’aime qu’à caresser le veau d’or pour briller dans les yeux en appétance d’une foule désabusée. Le contrôle algorithmique menace lui aussi en privant l’esprit de possible dont il ignore tout. La société de consommation, comme il est courant de la nommer dans l’air de ce temps, a gagné, c’est un fait. Mais son autophagie l’emporte dans une transe macabre qui voudrait qu’on se laisse tenter par l’unité adoratrice de l’ordre et de sa propagande absurde. Et aujourd’hui je me disperse, perdant un peu en clarté mais ravi d’avoir franchi un nouveau pallier dans l’escalade de ma Providence en laissant mourir les derniers regrets qu’il me restait au sujet de moi-même. J’ai vécu. Un peu trop ? Une défaillance poétique m’empêche d’en être sûr mais l’évidence déchire le voile de Maya : je suis plus calme. Dans mon esprit plusieurs fois aux limites de la déréalisation se conjuguent des événements qui paraissent étranges y compris pour ma raison aux horizons larges. Tout est possible ? Rien ne s’est réalisé… Et une langueur amère me fait me dire qu’au-delà il n’y a rien de communiquable dans les clous d’un système barriolé qui transforme le citoyen en employé et l’employé en consommateur. La place donnée à l’art est sous contrôle, on la laisse se rendre abstraite pour une élite et grasse et sucrée pour tous les autres. La voilà l’unité : achetons ! Pendant ce temps, qu’est-ce que je fais ? Je cherche un moyen de partager mon excentricité qui vous épargne des désirs inutiles, parce qu’ils ne sont pas vraiment les vôtres, et délétères, parce qu’ils sont les leurs. Au moment où j’écris, Google scanne non pas ma sanité mais ma rentabilité et m’incite à conclure avec lui un pacte d’allégeance qui me permettrait de vivre dans un confort supérieur mais vain. A quelle dessein ? Me laisser penser qu’une utopie plus grande m’est accessible ? Que dois-je entendre par utopie ? Grignoter le monde avec pour seule décharge émotionnelle la récompense d’avoir flashé sur un produit qu’on me pousse à croire être de l’ordre de ce dont j’ai vraiment envie. Mon univers est plein de mots, il déborde de musique, il a l’horizon que la liberté des autres invente pour mon compte.

Problème ? Il doit y avoir un problème. Du décret des autres, il pourrait s’agir que ce soit moi-même le problème. Quelque chose gigote en moi. Est-ce la langueur amère d’avoir relu, et à haute voix, un vieux texte bigarré et mystique ouvragé pour l’amour halluciné d’une dame (appelons-la ainsi) qui devait raconter notre histoire à venir, en tout cas en être le marche-pieds, et qui n’a fait que participer d’une monstration monstrueuse de ma défaillance, selon beaucoup scandaleuse, à être capable d’ordinarité ? Non, c’est d’une plus grande amertume dont je souffre aujourd’hui. Celle d’avoir perdu un ami, celle de n’avoir peut-être pas su être moins autocrate, celle d’affronter, avec un peu de recul, la grandiloquence de mon verbe décidément toxique. Comment élucider ces deux années d’absence de doute et de déni de son hypocrisie ? Comment parvenir à révéler en moi la part de mépris que je peux avoir à mon encontre d’avoir pu croire, encore une fois, que j’en sauverais un de plus ? L’adage bouddhiste arguant que seule l’impermanence a autorité à être permanente permet à mes émotions secouées par la perte sèche de trouver une voie à sa relativisation. Mais quand même… Les drames s’enchaînant, je continue de maudire la bêtise et l’hypocrisie du grand nombre comme s’ils devaient en être coupables quand tous ne sont que les pantins fatigués d’une farce qui a trop daté, prisonniers de leurs oeillères ou transis devant les ombres de cette Caverne qu’un sorcier produit sur le mur des espoirs toujours trahis où la messe baroque du dit-sorcier (qui est-il ?) produit l’effet escompté : oubliez le labyrinthe, contentez-vous d’en savourer l’illusion ! Suis-je coupable de montrer le soleil ? Alors que je tentais, brusquement j’imagine, de déchaîner un ami de valeur, il a tourné casaque et s’en est remis entre les mains d’un Dieu qui semble le détester. Pas de chance…

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